Au début des années 2000, j’organisais des entraînements et coachais des riders sur des épreuves, initiatives abandonnées en raison des orientations fédérales privilégiant la formula, puis le slalom. Depuis, il n’a existé peu voire pas de préparations encadrées à l’épreuve… le réel entraînement spécifique, c’est l’épreuve elle-même… Aujourd’hui, avec la reconnaissance fédérale d’une équipe de France, l’émergence d’épreuves régionales et nationales et les nouvelles initiatives d’entraînement comme en Bretagne, un projet sportif spécifique « vagues » peut à nouveau être envisagé par de nombreux waveriders. En réponse à ce projet sportif, les entraîneurs se donneront les moyens d’accompagner les sportifs au mieux et proposeront des situations d’entraînement en cohérence avec les spécificités de l’épreuve. C’est à la fois un enjeu de formation et de performance mais sûrement aussi un enjeu de club par l’offre pouvant être faite à une population de sportifs qui évoluent dans une pratique « sauvage ».
L’entraînement du funboarder à l’épreuve de vagues est focalisé sur la répétition de formes techniques lors de navigations libres. Ces navigations développent des compétences physiques et techniques. Elles permettent de développer une technique spécifique aux différentes exigences environnementales (orientation du vent par rapport aux vagues, sens de déroulement des vagues, force du vent, spécificité du spot, puissance des vagues…).
De plus, des navigations sur les sites de compétition développent une meilleure représentation spatiale de la zone d’épreuve (endroit des vagues, courant, sens des vagues, lieux des pics…).
Lorsque l’on étudie l’activité d’un funboarder en situation de compétition, on note des différences essentielles entre la navigation libre et la compétition. Ces aspects tiennent du fait de la définition de l’épreuve. Ses contraintes temporelles, spatiales, sociales et réglementaires imposent au funboarder une activité dépassant le cadre de la navigation libre.
Lors d’une navigation libre, les figures travaillées et répétées se font en dehors de la réalité situationnelle dans laquelle elles s’insèrent lors des heats, les figures ne sont pas contraintes par un temps et un espace définis, elles ne sont pas réalisées contre des adversaires, ni évaluées par des juges.
Il est alors bon de structurer l’entraînement en prenant en compte la logique de l’activité. Recréer lors de phase d’entraînement les conditions de la compétition, afin de développer à la fois des compétences techniques situées, au regard des contraintes et du déroulement de la manche, et des compétences tactiques liées à l’environnement, aux adversaires et aux juges. La situation d’entraînement reste tout de même une situation artificielle de compétition du fait de l’enjeu… Alors dans la programmation de la saison, distinguer deux types de compétitions, les « compétitions d’entraînement » et les « compétitions de performance » (Saury, 1998), pour compléter les entraînements par une réelle mise en situation compétitive du funboarder en fixant des axes de travail sur les compétitions d’entraînement.
I-Aider au développement tactique du funboarder
L’aspect tactique est un paramètre essentiel pour la performance lors de l’épreuve de vague. Les situations d’entraînement doivent favoriser l’acquisition des compétences tactiques.
1-Placer des éléments techniques pertinents
L’analyse de l’activité de waveriders de haut niveau montre l’importance qu’ils accordent à la pertinence des figures in situ. Cette préoccupation établit une relation entre la technique et l’environnement dans lequel elle se réalise. Il s’agit pour le compétiteur d’être dans une relation optimale entre l’environnement (le vent, les vagues, la zone d’évolution, les adversaires, etc.) et son évolution pour atteindre la meilleure performance.
Pour se faire, le compétiteur sera attentif à sa situation sur le plan d’eau, à la position et aux performances de ses adversaires, à la configuration des vagues, à sa vitesse, à ses actions déjà réalisées. Ces différents éléments permettent de planifier son action à venir. Celle-ci s’appuie sur des connaissances liant les éléments du contexte avec les différentes figures. Par exemple, « en surf sur une vague molle, il faut essayer de gagner en amplitude » ou « pas besoin de trop de vitesse pour un backloop sur une rampe raide«
2-Organiser la manche
On note une organisation temporelle du heat chez le funboarder de haut niveau. Son activité se découpe en phases particulières déterminant des sous-buts. Il envisage des orientations générales, un « plan ressource », qui laisse une grande part à l’improvisation mais qui le guide dans son évolution. Ce plan ressource repose sur l’analyse du plan d’eau, des conditions de vent et de vagues. Cette dimension est particulièrement intéressante car elle structure temporellement l’activité du compétiteur en répartissant les sauts et les surfs dans le cas de spots avec les deux dimensions. La durée d’un heat est relativement courte, donc cette organisation vise à optimiser ce temps contraint.
3-Aménager son espace de navigation
L’aménagement ou la structuration de l’espace de navigation est une dimension essentielle car elle n’est pas seulement une façon d’occuper l’espace, mais une véritable structuration du temps et des interactions sociales au cours du heat (avec les juges et les adversaires). Elle permet, de plus, d’optimiser la prise de risque et la pertinence des figures.
4-Gérer la prise de risque
La durée du heat est une contrainte forte, courte par rapport aux exigences environnementales: des conditions de vent et de mer souvent fortes. Les chutes sont fréquentes et leurs conséquences sur le heat dépendent des conditions dans lesquelles elles se déroulent. La prise de risque doit varier en fonction de la zone de navigation, des adversaires et des performances déjà réalisées au cours du heat. Par exemple, limiter les risques dans la zone de shorebreak ou de mousses, car elle est potentiellement dangereuse pour le matériel, une chute dans la mousse peut entraîner une perte de temps conséquente.
La performance des adversaires influence la prise de risque en agissant sur le niveau des figures à réaliser. De plus, les actions déjà réalisées, notamment en terme de performance, peuvent générer une prise de risque pour combler à tout prix un retard de points ou, au contraire, une navigation « assurée » lorsque le waverider se sait qualifié avant la fin du heat.
Les athlètes performants se distinguent par le placement de figures qu’ils maîtrisent à 100% préférant proposer un programme « propre ». Cette préoccupation du programme « propre » se retrouve dans les disciplines de production de formes (gymnastique, trampoline, plongeon, patinage, etc…). L’évaluation de la performance privilégie en grande partie une évolution parfaitement maîtrisée plutôt qu’une prise de risque élevée mal contrôlée. L’épreuve de vague répond aussi à cette préoccupation de propreté mais se distingue de ces disciplines dans la mesure où la gestion du risque se fait directement dans l’action et dépend d’un environnement fluctuant et incertain. Les gymnastes ou les autres déterminent en grande partie a priori le niveau de prise de risque, se réservant une petite marge de contrôle pendant l’action (par exemple réaliser un salto plutôt que le double prévu), mais le tapis reste stable…
Ainsi, savoir gérer la prise de risque c’est gagner en performance.
5-Prendre en compte son adversaire pour agir
Le funboarder n’a pas d’info sur l’état du score en cours de heat. L’attention particulière sur la position et la performance de son adversaire tout au long du heat est alors un élément fondamental pour agir. L’action dépend en partie de cette dimension sociale. Apprendre de l’autre pour construire son évolution. Cette activité exploratoire et d’apprentissage guide l’action car elle permet d’estimer son score par rapport à son adversaire, de savoir ce qu’il lui manque comme figure et ainsi, de réguler son niveau de prise de risque à venir.
Cette compétence nécessite de pouvoir repérer à tout moment son adversaire et de se placer dans les meilleures conditions de contrôle. La position « au vent » de l’adversaire permet une perception plus facile, donc un contrôle plus efficace (réaction rapide), mais aussi permet d’échapper au champ de vision de l’adversaire, donc à sa surveillance… Occuper cette position, c’est prendre un avantage sur son adversaire. Par exemple, « Je le vois faire un gros frontloop, je peux tout de suite derrière répondre par un gros frontloop tweaké… »
6- Influencer le regard des juges
L’action du funboarder doit être dans une large mesure conduite par la préoccupation d’attirer le regard des juges sur lui et d’impressionner les juges par la qualité de ses évolutions. Cette dimension sociale dépasse largement une visée exclusivement technique dans la mesure où elle doit s’attacher à d’une part, agir sur l’appréciation des juges et d’autre part, priver les adversaires du regard des juges. Cette tactique s’appuie sur des actions spécifiques, figures originales de transition, enchaînement rapide de sauts, hauteur et dynamisme des sauts, alternance des surfs (back, frontside), etc. Elle doit s’attacher, pour le maintien du regard des juges sur soi, à créer des attentes chez les juges en suggérant qu’il va se passer quelque chose. Par exemple, commencer à « tricoter » sur la houle, ralentir pour attendre une vague surfable, abattre lors du bord des sauts.
Conclusion
L’enjeu pour l’entraîneur est, à partir de ces différentes dimensions tactiques, de proposer aux riders des situations d’entraînement qui développent ces compétences. Il doit aider le waverider à se décentrer de sa technique et à réfléchir sur la structuration de son heat, de son espace de navigation, à gérer sa prise de risque et à prendre en compte les autres pour agir. Par des consignes particulières contraignant le rider à l’entraînement et l’évolution des variables temps/espace/adversité qu’il propose, l’entraîneur pourra optimiser la préparation tactique des coureurs à l’épreuve de vagues.
Même s’il est évident que le travail technique dans le cadre d’un entraînement encadré est un plus car il permet au rider d’avoir un regard extérieur, de discuter avec l’entraîneur et les autres en s’appuyant sur des vidéos, néanmoins, il peut être géré de manière autonome par le funboarder dans le cadre de ses navigations libres…
Structuration d’une séance d’entraînement à l’épreuve de vagues :
- Une demi-heure navigation libre: échauffement, appropriation spatiale du spot, analyse qualitative et quantitative des vagues, révision de ses gammes techniques (saut et surf)
- Deux heures de travail tactique: proposer des situations d’entraînement plutôt délimitées selon les normes temporelles d’un heat.
- 1 heure de navigation avec consigne technique pour optimiser ou apprendre nouvelle figure. L’entraîneur filmera les éléments techniques.
- Débriefing situations « tactiques » et débriefing vidéo des éléments techniques.
Bibliographie
- Saury, J. (1998). L’action des entraîneurs dans les situations de compétitions en voile olympique. Thèse non publiée doctorat STAPS. Université de Montpellier 1