Le Rocher de Bellevarde est très connu pour sa célèbre Face qui a marqué l’histoire du ski de descente par son énorme dénivelé et l’extrême concentration que doivent avoir les skieurs pour s’élancer dans cette pente vertigineuse! Autant dire que dans l’autre sens, ça grimpe! Plusieurs fois monté en journée jusqu’au sommet en ski de rando et ensuite redescendu par le couloir de la Table, j’adore cet itinéraire parce qu’il demande un gros engagement physique dans la montée, 1000mD+ bien raide, par la Face, parce que son sommet offre une magnifique vue sur Val d’Isère et parce qu’une fois le sommet atteint, la descente par le couloir de la Table (45 degrés) exige concentration et maîtrise technique. Autant dire un bon parcours bien physique qui fait bien dormir!
Le ski à la frontale fait rentrer dans une autre dimension, il m’offre une sensation de liberté et la possibilité de satisfaire mon adage, « dans ce Monde, hors du monde »… Seul dans la nuit après l’effort de la montée, j’aime faire durer la descente, en profiter un maximum, concentré sur les sensations du terrain dans les jambes et le regard posé dans le halo de la frontale. C’est une sensation unique!
C’était alors en toute logique que je veuille réaliser ce challenge en solo de nuit, pour y associer effort physique, abnégation et sensation décuplée par le noir…
Départ peu avant le coucher du soleil à 1800m aux pieds de la Face, ça grimpe fort directement, tout de suite dans le dur physiquement, un pied devant l’autre, je grimpe, conserver son rythme, relancer après les conversions… ne pas se focaliser sur le sommet mais rester centré sur chaque pas, profiter de ce moment rare, vivre à l’opposé du monde réfugié dans les appartements après journée de ski… je suis seul, c’est calme, seul le bruit de mes skis et de ma respiration rythme ce moment de bien-être. Et pourtant physiquement c’est dur… ça grimpe sévère! Vers 2500m, la neige se fait plus dure, je grimpe dans la pente en zigzag, mes appuis se font plus sur mes carres pour ne pas glisser… je devrais m’arrêter et mettre mes couteaux ou continuer en crampons… je continue et 20m plus loin, mon ski se dérobe, je décroche et je dévale la pente! Impossible en position de marche de mettre les skis en travers, je prends de la vitesse et glisse encore, et encore… piolet sur le sac, j’utilise alors la pointe de mon bâton pour ralentir ma descente et tenter de m’arrêter… Environ 80m plus bas je me stoppe enfin! Belle frayeur! Du coup, ski sur le sac, crampons aux pieds, frontale sur le front et c’est reparti!
Arrivée sur l’épaule de Bellevarde, au terminus de la benne, le vent est bien présent. Je continue sur la dernière partie de l’ascension, le vent se fait de plus en plus fort, la nuit bien noire, le froid est vif! A 50 mètres du sommet je décide d’arrêter, le vent se renforçant… je me dis en solo dans le noir dans le vent fort au sommet, je prends des risques… Du coup, décision d’arrêter et de redescendre par la Face. Le vent me fouette, j’essaye de trouver un abri derrière une petite congère pour me changer et passer en configuration descente. Ne pas traîner! Le vent glacial soulève des nuages de neige fine, le froid fouette mon visage et mes mains! Une fois prêt, je ne tarde pas à enchainer les premiers virages sur cette neige durcie par ce vent d’altitude. Je rejoins la Face et là, le bonheur malgré les jambes endolories par la montée… je savoure, le noir est total, la lueur de ma frontale me guide, bien concentré sur les jambes qui me donnent les infos sur le terrain, sur la dureté de la neige. J’enchaine les petits virages pour à la fois ne pas prendre trop de vitesse mais aussi pour faire durer cette descente le plus longtemps possible… Au fur et à mesure, les lueurs de la station se font plus vives, et ses bruits remontent vers moi. Seul, je pense à tous ceux qui sont au chaud dans leur logement, je suis une nouvelle fois dans ce Monde mais loin du monde. Le bonheur! la Vie.
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Voici le lien du petit montage que j’avais réalisé avec les moyens du bord 🙂